Quand les Américains étaient champions olympiques de rugby.

Dans mon récent article sur les Golden Bears de Berkeley version rugby j’avais parlé du double titre olympique des Américains aux Jeux Olympiques. Titres conquis avec de gros contingents de Cal Bears. Le dernier, qui fut gagné lors des dernières Olympiades où le rugby était présent, mérite qu’on revienne un peu sur lui. Partons donc pour Colombes en 1924…

Pour bien comprendre le contexte de cette compétition il faut remonter à l’olympiade précédente en 1920 à Anvers. Les organisateurs belges avaient prévu une compétition de rugby mais avaient failli l’annuler faute de participants. Ils durent trouver à la hâte des adversaires à la sélection américaine (composée presque exclusivement de joueurs de la région de San Francisco issus de Cal, Stanford ou Santa Clara) qui avait embarqué à bord d’un transatlantique quelques semaines avant l’ouverture de la compétition. Une équipe de France fut montée à la hâte, sélection de joueurs des clubs parisiens disponibles. Peu préparée celle-ci s’incline dans l’unique match de la compétition. 8-0 USA. Champion Olympique. Les Français représentants du rugby européen sont vexés par cette victoire de Yankees n’étant pas censés maitriser ce jeu.

La France justement organise l’Olympiade suivante à Paris et les Américains se déplacent à nouveau pour défendre leur titre. Seuls les Roumains s’inscrivent eux aussi à la compétition mais l’enjeu est ailleurs : Les Français vont tout faire pour laver l’affront d’Anvers. Norman Cleaveland de Stanford résume l’ambiance: "Les Français recherchaient un punching-bag. On nous a dit « allez à Paris et prenez votre branlée comme des gentlemen ». Mais les Américains se disent « tant qu’à y aller autant jouer notre chance ». Ils collectent 20 000 dollars partent plusieurs semaines à l’avance, s’installent en Angleterre et se préparent contre des équipes locales.

La presse française fait de son côté monter la sauce. Décrits comme des “voyous habitués des bastons de saloons” , ils sont accueillis froidement au port de Boulogne par des douaniers qui par erreur leur refusent dans un premier temps l’entrée sur le territoire. On leur refuse des matchs de préparation contre des clubs parisiens et on ne leur donne qu’un terrain vague derrière leur hôtel pour se préparer. Agacés, les Américains partent à Colombes où doivent se jouer les matchs de la compétition, escaladent la clôture et s’entrainent sur place.

Les Jeux débutent enfin. La France commence par atomiser les Roumains 61-3. La presse continue de faire monter la pression en accusant certains américains de ne pas être de vrais amateurs. Visitant les sites touristiques de la Capitale les yankees se font insultés et crachés dessus par un public chauffé à blanc par les journaux. Puis pour des questions d’exclusivité de droits (déjà !), le Comité Olympique ne donne pas l’autorisation aux Américains de filmer leur match contre les Roumains. La sélection US menace alors de quitter la compétition. Le lendemain les quartiers des sportifs US sont, malgré la présence d’un gardien, dévalisés pendant qu’ils s’entrainent. Les voleurs partent avec un butin de 4 000 dollars. Finalement pour apaiser une ambiance désormais explosive, on laisse les américains à filmer leur victoire 39-0 contre les Roumains. Pendant toute la rencontre les 6 000 spectateurs conspuent la sélection de l’Oncle Sam.

Le jour de la finale la cote des Américains est de 5 contre 1 et les bookmakers donnent les Français vainqueurs de 20 points. Le stade de 20 000 places (qui est celui où joue aujourd’hui le Racing) est comble et comme pour leur premier match les Américains sont hués dès le coup d’envoi. Deux minutes après le début du match on frise déjà l’émeute quand la star de l’équipe de France Adolphe Jauréguy reste inconscient après un rude plaquage de Alan Valentine. Il est sorti sur civière le visage en sang. Les bouteilles vides et les pierres pleuvent sur les joueurs US pendant que des bagarres éclatent dans les tribunes. Le banc de touche US est pris à partie et un remplaçant Gideon Nelson est assommé d’un coup de canne par un supporter. John O’Neil prend lui un coup de pied au ventre qui lui ouvre la cicatrice d’une récente opération de l’appendice.

Les Américains, plus physiques, mieux préparés, remportent à la surprise de tous le match 17-3 (5 essais à 1, l’essai vaut alors 3 points ou 5 si transformé) mais la foule furieuse envahit le terrain, la police et les joueurs français protègent les vainqueurs d’un probable lynchage. La cérémonie protocolaire qui suit se passe dans la plus grande confusion, le « Star Spangled Banner » est copieusement conspué. L’international français Allan Muhr déclare après le match : "C'est ce qu'on peut faire de mieux sans couteaux ni revolvers"

Le Comité Olympique horrifié par cette finale décide de radier le rugby de la liste de Sports Olympiques. Liste qu’il ne retrouvera qu’aux prochains JOs à Rio avec pour la première fois la présence du rugby à 7.

Il y avait quelques « personnages » dans les deux équipes de cette finale historique à bien des titres. On citera côté US :

• G M Dixon alors une des stars du basketball NCAA avec les Cal Bears.
• Le meilleur joueur du match R Hyland qui remportera deux Rose Bowls avec Stanford en 1928 et 1929
• R J Schulz de Santa Clara U, héros de la Seconde guerre mondiale et qui finira procureur du district de San Francisco.
• Dudley De Groot, joueur de foot et de basket à Stanford qui aura une longue carrière de coach NCAA de football (avec San Jose State principalement) et qui sera aussi head coach des Washington Redskins.
• Linn Farish, auteur de deux essais lors de cette finale, agent double travaillant à la fois pour les Américains et les Soviétiques pendant la Seconde Guerre Mondiale, mort en mission en 1944 en Yougoslavie.
• Colby Slater de UC Davis, vétéran de l’équipe, ancien combattant de la première guerre mondiale il avait laissé sa ferme quelques mois pour participer à la compétition.
• John O’Neil, l’opéré de l’appendicite sans qui cette aventure américaine n’aurait sans doute pas eu lieu. Héritier d’un texan ayant fait fortune dans le pétrole, le joueur de Santa Clara U obtint de son père une bonne partie des 20 000 dollars qui financèrent l’équipe.

Côté tricolore :
• Henri Galau, seul marqueur français du match qui fera toute sa carrière au Stade Toulousain. Il a donné son nom au plus grand tournoi annuel de poussins et benjamins en France.
• Adolphe Jaureguy, un ailier basque insaisissable. Il sera vice-président de la FFR et sélectionneur de l’équipe de France entre 1949 et 1968. Il a aussi écrit plusieurs livres références sur l’histoire du rugby et de la pelote basque.
• Le capitaine Felix Lasserre, basque lui aussi, ancien pilote de chasse de la guerre de 14 il devint ensuite fabricant de Cognac.
• Marcel Lubin-Lebrere, pilier du Stade Toulousain, il avait perdu un œil lors de la Première Guerre Mondiale et avait été criblé par 14 balles allemandes.
• Le demi de mêlée biterrois Adolphe Bousquet dont le neveu sera aussi Champion de France avec Béziers. Les deux ex champions tiendront un magasin de sports dans leur ville pendant des décennies.
• Aimé Cassayer, deuxième ligne, surnommé « Le Boulanger » pour sa facilité à distribuer des pains ! Le stade de Narbonne porte son nom.
• Clément Dupont, premier joueur avec Jaureguy à avoir battu les 4 Nations britanniques en match international. Il sera entraineur à Mont de Marsan et au Racing avec qui il est champion de France 1959.
• Le troisième ligne Jean Etcheberry un autre basque qui gagnera le titre 1937 comme entraineur joueur de Vienne. Le stade du club isérois porte son nom.

PS : Merci à mon fils pour m’avoir donné l’idée de cet article.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

OBLIGATOIRE:
Signez par votre nom sous cette forme: prénom, nom, ville, club (le cas échant)
ou créer un compte, et vous ne serez plus jamais embêté

Sans quoi NOUS NE PUBLIERONS PAS vos commentaires!