« Beau Fleuve » c’est de là que viendrait son nom. C’est que ce sont les Français qui sont passés là en premier enfin disons qui sont venus déranger les Iroquois les premiers. Il faut dire que descendre la Niagara sur la rive canadienne jusqu’aux Chutes est une très jolie balade.
« The Nickel City » c’est son surnom, qui rappelle le temps où les pièces de 5 cents (les « nickels ») arboraient un bison, un « buffalo ».
« The Snow Capital of the country » c’est son nouveau titre après qu’elle est reçu 1m 93 de neige fraiche en 24 heures la semaine dernière (+ une bonne pincée de 60 cms de plus deux jours plus tard…).
Buffalo, ville moquée, raillée et méprisée. Buffalo mon petit coin d’Amérique à moi.
Pourquoi aime-t-on une ville ? Grace aux souvenirs que l’on s’y ait fait ? Aux personnes qu’on y a rencontré ? Sans doute. Mais peut être plus simplement parce que dès que l’on y a mis les pieds on s’y est senti comme chez soi. C’est sans doute la première raison pour laquelle j’aime Buffalo. Depuis la première minute je m’y suis senti comme à la maison. Et ce sentiment étrange, étrange surtout par ce que Buffalo ne ressemble en rien à « chez moi » ou à un autre endroit où j’ai vécu, était là à chaque fois que j’y suis revenu. Comme une rencontre sentimentale, sans logique ni explication. Vous aimez les petites blondes mais la femme de votre vie est une grande brune ? Vous fantasmez sur Kate Moss et votre bru a les seins de Sophie Marceau ? Alors vous comprendrez peut être pourquoi Buffalo est la ville de ma vie, moi qui ait tant flirté avec des glamoureuses comme Barcelone ou San Francisco.
Attention Buffalo n’est pas une de ces mochetés absolues telle qu’on voudrait nous la vendre. Pour une ville moyenne des Grands Lacs, Buffalo a plutôt une jolie petite vie culturelle (théâtres et musées d’art notamment), une architecture variée et reconnue, un arrière-pays plus qu’agréable (ski, lacs et randos au programme), quelques jolis sites historiques (Fort Niagara) sans parler de sa proximité avec les fameuses Chutes ou d’avec Toronto (1 heure trente de route) et des grands événements qui s’y déroule régulièrement. Non Buffalo n’est pas un trou paumé. Ok ce n’est pas la Rolls des cités américaines mais elle a un certain charme la petite capitale du WNY (Western New York).
New York… Justement c’est peut être « Downstate » qu’il faut chercher une bonne partie de l’image catastrophique de la ville. Partager son Etat avec la Grosse Pomme, capitale économique mais aussi et surtout journalistique et culturelle du pays cela a quelques inconvénients. Buffalo vu de NYC c’est un peu cette branche un peu trop roots, un peu moins chic de la famille que l’on cache. Ce sont ces lointains cousins de la brousse qui nous font un peu honte avec leurs costumes démodés aux baptêmes et aux mariages. Oui ils ont le droit de rouler avec des plaques blanches et rouges et la Statue de la Liberté là-haut à Buffalo mais bon, ils sont pas comme nous ces ploucs… Alors forcément quand il y a une blague à faire dans un des talk-shows du soir, Buffalo est en première ligne.
Pas de soutien à attendre des voisins. Là c’est la même malédiction mais dans le sens inverse. Vu de Cleveland ou Pittsburgh ces Buffaloniens sont comme ces parvenus qui rejettent leur vraie nature, ils sont comme nous oui mais ils se prennent pour des New Yorkais ! On va vous les faire redescendre sur terre nous ! Et de l’autre côté du Niagara c’est pire. Vous pensez que la presse de Toronto a pour cible préférée ces emmerdeurs du Québec qui veulent toujours tout faire à leur sauce ? Attendez d’avoir lu deux ou trois articles du « Toronto Sun » sur Buffalo ! Là on va appeler ça le syndrome du petit frère. Habitués depuis toujours à subir une certaine arrogance, voir une arrogance certaine, des Américains, le journaliste anglo-canadien comme un gamin dont le sale gosse qui le martyrise depuis le CP vient de partir au collège a tendance à se venger sur le petit frère. Et Buffalo, proche, mal aimé de sa propre famille est la victime expiatoire idéale ! Quand la NFL et Ralph Wilson ont eu l’idée saugrenue d’offrir à Toronto un match des Bills par an, personne n’a compris pourquoi le stade sonnait vide, ne supportait pas Buffalo et pourquoi alors que des milliers de Canadiens passent la frontière pour soutenir les Bills à chaque match quasi personne ne faisait le même chemin dans le sens inverse. Il suffisait de demander à un Buffalonien : Voir les Bills à Toronto est une véritable humiliation. Comme voir sa petite amie partir vivre chez ce voisin arrogant et plus riche et être en plus invité au mariage !
Le Buffalonien est donc seul, sous la neige, à regarder perdre ses équipes préférées mais tout aussi maudites que lui. Comme en plus l’économie locale est en berne depuis…. les années 30, il y a, en plus, de fortes chances qu’il n’est même pas sa famille avec lui, partie sous des cieux plus cléments à la recherche de vrais jobs. On en revient d’ailleurs à la malédiction New Yorkaise. Quand d’autres villes de la «Rust Belt » arrivaient à trouver un nouveau souffle (Pittsburgh, Cleveland… ) avec des politiques locales dynamiques et agressives, Buffalo a dû faire avec, depuis toujours, des classes politiques et des gouverneurs élus pour et par les (bien plus nombreux) New Yorkais de la Pomme, aux problèmes très différents voir souvent opposés. Ce n’est pas un hasard si dans la course au poste de Gouverneur de l’Etat de New York on dit que pour gagner il faut perdre à Buffalo… Bilan ce n’est que depuis quelques années que grâce à un immobilier au raz des pâquerettes, un foncier disponible et bien structuré et une main d’oeuvre à la fois qualifiée et bon marché que la ville commence enfin à donner quelques signes de Renaissance. De quoi faire oublier les phrases pour le moins assassines de BHL dans son livre « American Vertigo » du début des années 2000 qui parlait de Buffalo comme d’une ville fantôme.
Mais revenons à la neige, qui reste, avant même les déboires des Bills, le « joke » numéro 1 pour parler de Buffalo. La neige et Buffalo sont indissociables dans l’imaginaire collectif américain depuis le fameux blizzard de 1977. Tempête énorme et meurtrière ce blizzard laissa la ville, alors au cœur de sa crise économique, les aciéries fermant les unes après les autres, KO pendant plusieurs semaines. Et depuis chaque tempête ramène son spectre. La situation géographique de la ville, au sud et à l’extrémité est du Lac Erié, n’aide pas beaucoup. En plus des nuages « classiques » qui amènent leur lot de neige chaque hiver la ville doit faire avec les énormes coups de « Lake Effect Snow ». Le phénomène est aussi simple que dévastateur : Dès qu’une masse froide arrive du Nord Canadien avec une différence de température de plus de 13 degrés celcius par rapport à l’eau du lac (par exemple l’eau du lac à 8 et l’air polaire qui arrive à -5), à l’image d’un ouragan qui se forme sur les eaux chaudes de l’océan, l’humidité « chaude » du lac est aspirée par la masse froide et transformée en énorme masse de neige qui retombe dès que le sol se refroidit, c’est-à-dire dès que le nuage touche terre… à Buffalo ou plus encore dans ses banlieues Sud. Ces nuages très denses sont de véritables murs de neige qui posent en quelques heures des montagnes de poudreuse. L’épisode de la semaine dernière, massif, lié au fait que l’eau du lac est encore relativement chaude fut un chef d’œuvre dans le genre laissant par endroit près de 3 mètres de neige tandis que 20 minutes au Nord, du côté de Niagara on n’a même pas vu l’ombre d’un flocon. Alors oui forcément quand l’américain moyen voit ça sur son écran de télé il se dit que c’est un drôle d’endroit, bien inhospitalier et certainement bien invivable. Ca chez lui c’est la région bloquée pour trois semaines. Sauf qu’à Buffalo lundi tout était revenu quasi à la normale (au point qu’au final le match des Bills.. ben il aurait presque pu avoir lieu à Orchard Park dès mardi voir lundi…) , que rouler sous la neige est une seconde nature et que la principale inquiétude de mes amis du coin reste les possibles inondations si tout ça fond trop vite… Comme d’habitude certains ont dormi au boulot (toutes les boites de la région ont les réserves et l’équipement pour faire dormir leurs employés sur place si nécessaire), les écoles ont fermé et les gens sont restés au chaud à attendre que ça passe. Business as usual. Sauf bien sûr si on regarde les infos nationales.
Longtemps ville ouvrière (aciéries et minoteries notamment mais c’est aussi la ville de Fischer Price et de New Era Caps), la population a gardé une âme très « col bleu » mais, et on s’en aperçoit de manière assez frappante quand on s’est baladé ailleurs aux Etats Unis, est beaucoup plus ouverte vers la culture et le monde qu’une grande majorité d’américains. Et c’est il faut le dire un élément très appréciable et très méconnu de la ville. J’ai trouvé à cela trois origines probables : Tout d’abord comme à Pittsburgh la ville a eu quelques capitaines d’industrie philanthropes qui ont laissé un héritage culturel dont tout le monde peut profiter. La vénérable Albright Knox Gallery, un des musées d’art moderne les plus dynamiques du pays en est un bel exemple. Il y a ensuite et cette fois ci pour le meilleur, le « New York effect ». La scène musicale et théâtrale de Buffalo reste vivace notamment grâce à la vielle habitude qui voulait que l’on testait dans les petites salles de la villes les nouvelles créations des auteurs New Yorkais. Si ça marchait à Buffalo on pouvait se lancer à Broadway ! Enfin il y a la proximité du Canada et de Toronto. Les chaines TV canadiennes (y compris Radio Canada et ses films d’auteurs français !) sont captées et regardées en ville que ce soit pour leur offre de films bien plus large, leurs journaux télévisés bien plus internationaux et leurs matchs de hockey en prime time. Toronto, aussi honnie soit elle, représente aussi non seulement la porte vers l’extérieur via son aéroport international mais aussi le meilleur moyen de voir concerts, spectacles et musées en nombre et qualité. OK on est ni à San Francisco, ni à New York , ni même à Boston mais à Buffalo on sait au moins qu’il y a quelque chose là, dehors !
On ne peut terminer ce tour d’horizon de la ville sans parler, bien sûr, de sport. Et il faut bien le dire on y retrouve plusieurs éléments typiquement Buffaloniens : La malchance, les moqueries et pour y faire face une fierté et une ténacité à toute épreuve. Les Bills ont eu leurs heures de gloire (les dernières années de l’AFL « indépendante », les années OJ Simpson, l’ère glorieuse des 4 Superbowls perdus, la folie des deux saisons de Flutie…) et de très longues heures de désespoir. Mais pas un titre pour couronner un public fidèle et connaisseur, terriblement patient et profondément amoureux de son équipe. Plus qu’aux grandes victoires (le Houston Game ou l’AFC Championship Game de 90), il reste attaché à ces magnifiques défaites que furent « Wide Right » (le Superbowl XV) ou « The Forward Pass »(le match perdu en playoffs à la dernière seconde contre les Titans) et tous les regrets qui vont avec. (Ah si Christie était arrivé un an plus tôt, ah si ils avaient fait starter Flutie et pas ce connard de RJ…). Parce que perdre à Buffalo est surement ce que l’on sait le mieux faire et avec quel panache !
Les Sabres ne font pas exception avec pour chaque belle période ses regrets, ses glorieuses déconvenues, la French Connection brisée par ces brutes de Flyers, Lalala Fontaine qui n’avait pas le gardien pour aller avec son talent, le « No Goal » qui donna les Series à Dallas quand on avait enfin le gardien qui allait avec le reste, Le Presidents Trophy de cette magnifique équipe trop joueuse pour gagner en playoffs… Et entre tout cela de la médiocrité et de longues traversées du désert. Pourtant là aussi quelle ferveur, quelle fidélité, quelle fierté, quel public… Jim Carrey, grand fan de l’équipe (bien qu’originaire de la banlieue de Toronto) a parfaitement résumé le sport « made in Buffalo » dans « Bruce Tout Puissant »… C’est le jour où les Sabres gagnent la Coupe que le Monde part complètement en vrille.
Les malheurs du sport local ne s’arrêtent pas là… Les Buffalo Braves connurent quelques belles saisons NBA mais arrivèrent à exporter la malédiction locale jusqu’en Californie (ce sont les Clippers) et les Buffalo Bisons de la AAA de baseball restent une des plus populaires équipes de minor league avec certaines saisons plus de spectateurs que certaines MLB (le « pire » dans le genre furent les saisons où réserve des Indians ils faisaient plus de monde que leurs « chefs » !) mais n’ont jamais pu obtenir leur ticket pour l’étage supérieur.
Vous en savez maintenant peut être un peu plus sur ma petite ville du lac, même si surement il vous manque encore l’essentiel. Le gout d’une saucisse polonaise à l’Erie County Fair, les couleurs de l’Eté indien en traversant les forêts des South Towns, le « Hawk » qui vous glace le sang perché en haut des tribunes du Ralph, la course poursuite contre la neige en rentrant du ski à Kissing Bridge, les grands-mères estoniennes à un « bingo fish fry » du vendredi au bord du lac et ses amitiés éternelles qui transforment tout ce petit monde de Erie, Pa jusqu’à Rochacha en grande famille. Tout ce qui fait qu’au final, je t’aime Buffalo
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