Interview de Cedric Cathala du Midi Olympique et ex Ours de Toulouse

Cédric Cathala est depuis plus de 20 ans un des piliers de la rédaction du « Jaune » alias le Midi Olympique la bible du rugby français. Il est aussi un ancien joueur des Ours de Toulouse et un fin connaisseur du foot US. Il m’a fait l’honneur de partager ses réflexions sur ces deux sports « cousins » pour reprendre son expression.

-          Quel a été votre parcours sportif, notamment dans le foot US ?

-          Je suis Tarnais, j’ai débuté au rugby au SC Albigeois puis jusqu’en Crabos au Stade Toulousain. Quand j’ai arrêté le XV j’ai voulu essayé un sport plus exotique et je voulais assister à un entraînement de baseball. Mais je me suis trompé de jour et en fait je me suis retrouvé à un entraînement des Ours (NDLR : Les terrains du Stade toulousain Baseball et des Ours se touchent). J’ai passé 4 saisons chez eux au début des années 90, une en junior et trois en senior. A l’époque ils jouaient en Elite. (NDLR : Ils y sont restés jusqu’à la saison 93-94). J’étais running et surtout corner. Ensuite j’ai intégré le Midol et il devenait difficile de concilier mon travail de journaliste avec les matchs du dimanche. J’ai tout de même joué au rugby en corpo et en série régionale quelques années. Aujourd’hui je m’occupe d’une école de rugby en région toulousaine.


-          Quelle image a le foot US dans le rugby français ?

-          Le regard a beaucoup changé ces dernières années. Dans le rugby pro on connait beaucoup mieux le foot US que dans le passé. Ils se rendent compte de la réalité de ce sport, de ses exigences. L’arrivée de préparateurs physiques issus du foot US comme Philippe Gardent, Thibaut Giroud, les voyages d’études qui ont été faits pas des membres du staff de l’Equipe de France ou de grands clubs français aux Etats Unis font qu’ils ont une meilleure compréhension de ce qu’est le football américain surtout du fait que le rugby pro y puise de l’expérience sur tous les aspects physiques et de préparation. Ce n’est plus le sport exotique et lointain d’autrefois. En tout cas le foot us de top niveau. Je ne pense pas que beaucoup s’intéressent à ce qui se passe dans le football américain français par contre.

-          Ce changement est lié on le voit à l’intérêt de plus en plus fort du rugby pour les aspects physiques et athlétiques du sport mais n’y a- t-il pas aussi une évolution du jeu en lui-même qui rapproche les deux disciplines ?

-          Tout à fait. Le rugby devient plus stratégique, plus conceptuel et plus pre-programmé. On se rapproche des « plays » du foot US. Tous les clubs pro ont désormais des séquences répétées et prévues à l’avance de temps de jeu à enchainer, tant en attaque qu’en défense avec des déplacements, des soutiens, des positionnements pré-définis. De la même manière les définitions de poste et leur spécialisation ressemblent de plus en plus à celles du football américain. Les 9 et les 10 du rugby pro deviennent de véritables quarterbacks par exemple. Ce n’est d’ailleurs pas forcément une évolution que je trouve bonne. Le rugby y perd de sa particularité et si le joueur de rugby d’aujourd’hui est incontestablement mieux préparé, plus physique qu’autrefois il n’est pas forcément un joueur plus « intelligent » dans le jeu. Je ne veux pas dire par là que le foot US ne demande pas d’intelligence, bien au contraire mais je vois aujourd’hui des excès dans cette évolution du rugby avec des choses très stéréotypées où les joueurs ne sont plus que dans l’exécution d’un jeu programmé sans trop réfléchir. Un bon joueur de football américain comme un bon joueur de rugby doit aussi savoir lire le jeu, adapter ses déplacements, ses actions, à la situation. Au final être lui aussi « intelligent » dans le jeu. Avoir joué au rugby m’avait beaucoup servi quand j’étais arrivé chez les Ours et avoir joué au football américain amène un plus à un joueur de rugby je pense. Les deux disciplines sont complémentaires et il ne faudrait pas que le rugby se dénature en copiant le foot US sans comprendre que c’est aussi un sport où l’improvisation et la liberté ont leur place.

-          Vous craignez qu’à terme on se retrouve avec un rugby qui serait une simple variante du foot us y compris dans l’équipement, les protections…

-          C’est un risque. D’ailleurs on voit de plus en plus de casques, de protections dans le rugby. On voit même maintenant des protections de cuisse comme en foot US. Mais je ne crois pas que cela arrivera. Le « tout physique » finira par plafonner et on reviendra à un moment à un rugby plus joueur.

-          D’autres domaines où le football américain inspire le rugby ?

-          Dans le recrutement, la formation oui. Je vois par exemple commencer à se développer des « combines » à l’américaine notamment en Angleterre.

-          Le rugby comme le foot US d’ailleurs essaie de gagner de nouveaux territoires et pays, quelle est la stratégie du XV dans ce domaine ?

-          Pour le développement international l’outil principal utilisé est le rugby à 7. Moins contraignant, plus facile à organiser, il est aussi le ticket d’entrée du rugby aux JOs. Dans des marchés non traditionnels notamment en Asie, en Chine mais aussi aux Etats Unis par exemple c’est là que les efforts sont portés et font progresser le rugby à l’international. Le nouvelle ligue américaine, l’arrivée aux JOs sont des signes forts.

-          Du côté foot US on voit la NFL faire de gros efforts pour se vendre en Europe notamment à Londres. Est-ce que cela agace ou inquiète les dirigeants du rugby professionnel ?

-          Non, je ne sens pas d’inquiétude. Je ne pense pas qu’ils voient la NFL comme une concurrence.

-          Qu’est-ce qu’il faudrait au foot US pour mieux se développer en France ?

-          Je vois deux points principaux : La médiatisation et avoir des joueurs reconnus. Mais c’est très difficile d’exister dans les médias en France. Internet peut sans doute aider via les sites spécialisés, les sites des clubs, les streamings. D’ailleurs à ce sujet les clubs français de football américain sont bien meilleurs  que dans le rugby. Nos clubs dans le XV ont des fonctionnements très vieillots avec des pages facebook, des sites internet nuls ou inexistants y compris chez des clubs pro. On est pas très « 2.0 » ! Les identités visuelles ne sont pas travaillées, les photos sont moches et personne ne fait de streamings. De ce côté-là le rugby pourrait vraiment s’inspirer du foot US. Je vois les amis que j’ai gardé chez les Ours faire de très belles choses dans ces domaines quand j’ai du mal à avoir une jolie photo pour illustrer la page de mon école de rugby ! Mais il est vrai que la médiatisation plus classique et grand public est importante et c’est ce qui bloque surement le développement du foot US. Je regrette par exemple la disparition d’ESPN America qui était gratuite sur le bouquet de Canal. On ne parle de football que pour le Superbowl c’est dommage.

-          Justement au « Midol » vous pourriez imaginer une rubrique foot US régulière ?

-          Quand je suis arrivé au journal en 93 on l’avait envisagé mais j’avoue que le soufflé est retombé. Pourquoi pas un jour.

-          Du côté du rugby amateur vivez-vous, comme au foot US, une certaine crise des vocations, une dégradation des conditions pour les clubs ?

-          Oui c’est vrai. Même si du côté du nombre de licenciés ça va, dans les autres domaines c’est plus difficile. On manque de bénévoles. On sent qu’ils ont peur de s’engager, il y a aussi beaucoup de contraintes administratives, de diplômes. Et avec les restrictions budgétaires des communes tous les clubs cherchent de l’argent, des partenaires. Un des points noirs c’est aussi les installations. Du point de vue sportif la France est un désert. J’ai récemment fait un voyage aux Etats Unis et même si je m’y attendais un peu j’ai été bluffé par toutes ses installations sportives partout, dans les écoles, les villes. Gymnases, stades, playgrounds, en France nous sommes vraiment très très mal lotis. Je vois des villes de 10 000 habitants avec un seul gymnase. Notre club de 450 licenciés doit faire avec trois terrains dont un qui est réservé aux matchs de l’équipe fanion… On parle beaucoup d’argent et de professionnalisation du rugby mais il y a vraiment deux rugby aujourd’hui et le rugby amateur comme les autres sports amateurs en France n’est pas riche.

-          Les terrains synthétiques peuvent-ils être une solution ?

-          Ca commence à venir, je vois des clubs de rugby qui s’y mettent. Le cout de départ est important mais ça peut être intéressant à terme surtout si c’est partagé par plusieurs clubs.

-          On parle de plus en plus de mutualisation et de clubs multisports, une autre solution de développement pour le sport amateur ?


-          Oui clairement. En amateur comme en professionnel d’ailleurs. L’exemple de l’AS Montferrand  par exemple et son centre de formation multisports (NDLR : partagé notamment avec le club de soccer de Clermont) qui va être inauguré prochainement est très intéressant.

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