En Irlande la ville de Derry est le douloureux symbole de la
« partition ». C’est dans le ghetto catholique de Bogside que
« les Troubles » ont commencé à la fin des années 60, c’est aussi là
que les combats entre Orangistes et Catholiques ont été les plus durs depuis
que les premiers colons protestants écossais ont commencé à s’installer en
Ulster. Comme vous le dira n’importe quel Irlandais, d’où qu’il soit, « On
a tous un cousin qui a fait des conneries à Derry ». C’est pour cela que
quand j’ai découvert que dans le petit monde du foot US Irlandais une des
équipes qui se démarquaient ces derniers temps portait le nom des Donegal/ Derry
Vipers, j’ai été intrigué. Donegal ? Le comté catholique de l’extrême Nord
de l’Ile qui fait partie de le République d’Irlande. Derry, sa voisine
majoritairement protestante de l’autre côté de la frontière. Ensemble dans une
équipe de foot US… Voilà qui n’est pas anodin…
Shaun McGrory #74 “Vice Chairperson” et Offensive Line a
répondu à mes questions :
- Comment les Vipers ont
commencé? Etaient-elles basées des deux côtés de la frontière dès le
départ?
- C’est Cathal 'Cax' Curran
qui a eu cette idée, sortie d’absolument nulle part. Cathal n’était même
pas un grand fan de la NFL, il regardait juste des extraits, des clips. Il
avait joué au soccer et en GAA (NDLR : La ligue commune au football
gaélique et au hurling) toute sa vie mais il a vu des infos sur la ligue
Irlandaise de foot US et a voulu en savoir plus. Il a décidé alors
d’essayer et de lancer un club. Début janvier 2015, il a mis des annonces
partout sur les réseaux sociaux pour organiser un premier entrainement.
Bon, pour être clair, l’immense majorité des gens en Irlande n’avait pas
la moindre idée qu’on y jouait au football américain mais ça a justement
attiré pas mal de curieux. Comme on était en plein hiver le seul endroit
disponible était en intérieur et juste de l’autre côté de la frontière
côté République. Presque 50
personnes sont venues ce jour-là avec des degrés très variés de
connaissance de notre sport et absolument aucun joueur avec de
l’expérience. La première année ça a été assez difficile. Ca nous fait
rire maintenant mais tout le monde improvisait, c’était tout à
l’instinct! Nous étions de parfaits
novices sur et en dehors du terrain. Presque quatre ans plus tard nous sommes toujours là et on
est resté à cheval entre les deux comtés en jouant des matchs «à domicile
dans les deux pays lors de chacune de nos trois saisons.
- S’appeler les Vipères dans
un pays où il n’y a pas le moindre serpent c’est ironique?
- La question nous fait
toujours rire! En fait au départ le nom est venu sans la moindre réflexion
derrière. Cathal Curran aimait juste le nom alors on l’a pris. Depuis
beaucoup de légendes sont venues s’ajouter pour améliorer cette histoire
banale! La plupart trouvées par nos joueurs lors de nos 5èmes quart temps
un peu arrosés! Cela nous amuse car en effet l’Irlande est connue pour ne
pas avoir de serpents. On aime bien sûr célébrer nos victoires mais aussi
et surtout rire de nous-mêmes! Les
Vipers ont commencé par n’être qu’un simple nom avant de devenir quelque
chose de beaucoup plus fort entre nous. Aujourd’hui on est fiers de notre
équipe construite avec du travail, du respect et qui est comme une famille
et aussi un endroit où on s’amuse.
• Comment êtes-vous organisés? Entre les deux comtés comment est-ce
que vous vous répartissez?
- Nous avons commencé à nous
entrainer quasiment sur la frontière donc c’est tout naturellement que
nous nous sommes retrouvés avec des joueurs des deux côtés de la
frontière. Aujourd’hui nous jouons
et nous entrainons principalement sur Derry mais cela reste une priorité
du club de jouer au moins un match par an à Donegal. Depuis les débuts notre groupe a
beaucoup évolué et nous avons aujourd’hui aussi un fort contingent de
joueurs qui viennent du comté voisin de Tyrone (NDLR: En Irlande du Nord
mais à majorité catholique) et nous avons eu aussi sous notre maillot des
joueurs Anglais, Canadiens et
Américains. On est un club « de village » mais qui aime
boxer dans la catégorie supérieure !
- Est-ce que le Brexit
pourrait gêner votre développement?
- Le Brexit est presque
devenu un sujet tabou chez nous. Pas parce qu’il y aurait des “pour” et
des “contre” dans l’équipe mais parce qu’en fait personne ne sait vraiment
ce qu’il va se passer. Et ceci est le cas pour tout le monde, de l’ouvrier
du coin aux chef du gouvernement !
Le Brexit peut
potentiellement nous causer de vrais problèmes pour tout un tas de
raisons. Une vraie frontière ou des restrictions sur les déplacements
entre les deux Irlandes pourrait avoir un vrai impact sur notre capacité à
nous entrainer ensemble. Les frais de transport pourraient augmenter et au
final la possibilité pour les équipes d’aller et venir des deux côtés
pourrait se retrouver compromise.
On espère donc que le bon sens finira par l’emporter car nous
sommes fiers d’être un pont entre tout le monde, toutes les cultures et
religions et que cela n’aurait aucun sens qu’une ligne imaginaire nous
empêche de continuer à le faire.
- Etes-vous uniques en
Irlande à être ainsi présents dans les deux territoires ?
- L’Irlande est un pays
relativement petit et qui a vraiment évolué dans le bon sens ces deux
dernières décennies. Nous avons été séparés par l’histoire mais nous avons
aussi beaucoup de choses en commun qui nous rapprochent aujourd’hui. Il y
a pas mal d’équipes qui sont proches de la frontière , je pense notamment
aux Louth Mavericks. (NDLR : Louth est un comté de la République
d’Irlande sur la côte Est de l’Ile)
Louth est à la frontière aussi et ils ont des joueurs qui viennent
des deux côtés. Mais je crois qu’au final effectivement nous sommes les
premiers à être officiellement bi-nationaux et la raison principale est
qu’entre Donegal et Derry il y a une riche histoire de rivalités sportives
d’abord entre nous et ensuite avec le reste de l’Ile. Nous sommes fiers
dans nos comtés et c’est un levier qu’on utilise beaucoup pour motiver
notre équipe.
- Il semble que le football se développe
très bien en Irlande ces dernières années, qu’est ce qui a provoqué cette
expansion?
- On
joue au foot US en Irlande depuis les années 80 mais jusqu’à il y a 4 ans,
personnellement je n’avais pas la moindre idée que cela existait. Le
développement de notre sport que cela soit en nombre d’équipes ou en
nombre de joueurs ainsi que exposition médiatique ont explosé ces
dernières années particulièrement depuis que la NCAA vient à Dublin pour
jouer des matchs mais aussi faire des événements impliquants les équipes
irlandaises. La présence de la NFL à Londres a aussi été très importante
pour nous faire connaitre. Un autre facteur de croissance est l’évolution
des médias sociaux . La possibilité qu’ils ont donné de partager, de
communiquer, de faire de l’auto-promotion, sur des plateformes comme Facebook,
Twitter, Snapchat ou Instagram a tout changé pour des sports comme le nôtre.
Avoir plus de visibilité est clé pour notre sport et je pense que notre
équipe l’a bien compris et est bien présente sur ces médias. Notre
fédération a aussi fait des efforts, particulièrement cette saison et le
contenu qu’a produit l’IAFA sous la direction du nouveau responsable de la
communication Gerard Mulreaney a été fantastique. Au final, vous pouvez jouer le meilleur
football au monde, si personne ne le sait vous ne pourrez pas continuer
longtemps…
- Avec
déjà traditionnellement beaucoup de sports de contact en Irlande, du rugby
au hurling en passant par le football gaélique, comment faites-vous pour
attirer des joueurs ?
- Nous
sommes bien sûr encore le parent pauvre des sports de contact en Irlande comparé
au soccer, au rugby ou aux sports gaéliques mais c’est au final pas si mal
que ces sports soient si présents ici. En effet on peut ainsi y trouver
des joueurs qui ont des compétences immédiatement utilisables au football.
Par exemple la vitesse d’un avant-centre de soccer qui pourra devenir un
receveur, pareil pour la vaillance d’un joueur de rugby ou les mains sures
d’un joueur de football gaélique. Nous avons la chance d’avoir cette
combativité en nous en Irlande en partie grâce à ces sports traditionnels
et au final ce n’est pas un très gros changement pour un joueur de ces
sports de mettre des épaulières et un casque et d’aller percuter un
adversaire à pleine vitesse. Nous
avons encore du travail pour rendre le football plus visible et plus
attirant mais nous avons le privilège de posséder un réservoir de joueurs
potentiels qui possède déjà de très bonnes bases. Nous essayons d’ajouter
à cela une atmosphère tournée vers le plaisir et le mélange de personnes
de tous milieux sociaux et culturels pour nous démarquer et attirer des
gens qui n’auraient jamais pensé jouer à ce sport ici en Irlande. Je pense
que ça nous permet d’avoir aujourd’hui des fondations solides pour
développer le football.
- L’objectif
de cette fin de saison c’est la montée en D1 pour les Vipers?
- Absolument!
En 4 ans depuis notre fondation nous avons eu une progression constante: IAFL2 (D3) 2015 1W - 5L, IAFL2 2016 6W -
0L, (IAFL2 Bowl champions, montée en IAFL1), IAFL1 (D2) 2017 6W - 2L (Battus
en demi-finale), IAFL1 2018 7W - 1L (Conference North Champions qualifiés
pour les demi-finales). Nous voulons donc faire au moins 1 match de plus
que l’an passé et atteindre la finale IAFL 1. Notre but est d’être un jour
champion d’Irlande (Shamrock Bowl Champions) , ne pas y arriver serait
vraiment une déception. Mais cela ne veut pas dire que rien que dans notre
division nous n’ayons pas une concurrence incroyable et même si nous avons
gagné la Conférence Nord cela n’a pas été du tout facile. Il y a tellement
d’équipes surmotivées par ici que il nous faudra encore bien des années de
travail pour espérer être champion SBC (D1) un jour. Notre but est de continuer à
faire mieux chaque saison comme nous l’avons fait jusque-là. Nous avons un
objectif et j’espère bien que nous l’atteindrons un jour.
- Comment
décririez-vous votre style de jeu ?
- Nous sommes en
premier lieu une équipe basée sur la défense. Notre défense a été en effet
le plus régulière et la plus performante dans la division depuis 3 ans en
ne concédant que 8.6 points en moyenne par match cette année. Nos coachs s’assurent
que nous sommes toujours bien préparés et connaissons parfaitement le playbook
et que chaque joueur a « faim » d’aller au contact. Notre
défense a cette attitude « bad ass » et cette agressivité brute
qui font les grandes défenses. Mais je n’oublie pas l’attaque qui a
beaucoup de qualités. C’est la deuxième de la ligue. Nous avons plusieurs
options au poste de QB, d’excellentes armes au postes de TE, WR ou RB mais
c’est probablement notre ligne offensive qui contribue le plus à notre
succès. La ligne connait très bien
son boulot et a la volonté et la confiance pour continuer à progresser.
Nous savons nous adapter quand il le faut et cela est à mettre au crédit
de l’atmosphère de travail qu’ont créé nos coachs autour de nous.
- Un dernier mot?
- D’un
point de vue personnel , rejoindre les Vipers est une des meilleures
choses que j’ai jamais faites. Je suis très fier de porter le maillot
Rouge et Or. Le club que nous avons construit est quelque chose dont nous
sommes tous, joueurs, coachs, dirigeants, fiers, et j’encourage tous ceux
qui ont ne serait-ce qu’un petit intérêt pour notre sport d’aller à la rencontre
du club le plus proche de chez eux et d’essayer notre sport que cela soit
en Irlande, en Europe ou n’importe où ailleurs dans le Monde. Vous ne le
regretterez pas.
Photo : L’équipe lors de son match à Colaiste Ailigh à Letterkenny
Comté de Donegal (Dean Cullen)
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