Quand je suis arrivé au Pays basque il y a dix ans ce fut presque toujours une des premières questions qu’on me posait quand je rencontrais quelqu’un pour la première fois : « Vous êtes Biarrot ou Bayonnais ? ». Mes « Heu… Moi en fait je suis Grenoblois » et pire mes « Vous savez chez moi on est plutôt Grenoble ET Bourgoin » laissaient mes interlocuteurs perplexes. Pour eux, il était clair que venir vivre ici cela voulait dire faire un choix sur ce sujet. On ne peut pas être « Biarritz ET Bayonne » quand on est basque. On ne peut pas être non plus « Ni l’un ni l’autre ».
Depuis j’ai donc fait mon choix. Je suis donc Bayonnais. (Enfin bon en 22ème choix après Grenoble, Vinay, St Marcellin, St Jean en Royans, Bourgoin, Oyonnax, Bourg, Voiron, Vienne, Romans, Beaurepaire, Chambéry, Lyon, Valence- enfin le ROC, enfin on en parle plus bas-, Aubenas, Varacieux, L’Albenc, St Savin, Grésivaudan, Givors et La Mure…) Et j’ai pris la mesure de ce que cela représente. La rivalité AB/BO est unique dans le rugby français. Je pense même que dans le sport français il n’y a que la rivalité ASSE/OL qui puisse s’y comparer. Si on regarde hors de nos frontières on peut penser à Celtic/Rangers, Red Sox/Yankees, Galatasaray/Fenerbahce, Auburn/Alabama, Pana/Olympiakos, Liverpool/Everton. Le genre qui divise des familles, provoque des divorces, assure année après année la moitié des conversations au bar du Commerce. Enfin ça c’était vrai jusqu’à hier, 4 décembre 2013, le jour où ils sont tombés sur la tête, le jour où les frères ennemis ont décidé de fusionner.
La fusion de clubs dans le sport est sans doute l’idée la plus sur-estimée que vous puissiez trouver. En fait je me demande si il y a jamais eu une fusion réussie, quel que soit le sport et le niveau. Pourtant malgré les dizaines d’échecs cuisants qu’elle a déjà rencontré cette fausse bonne idée s’apprette à faire deux victimes de plus. Et pas des petites victimes. On parle des deux fleurons du sport basque français, de deux des Grands du rugby. L’argument économique a tendance à m’énerver. Même au 21ème siècle un club sportif n’est pas une entreprise comme les autres. Une entreprise comme les autres n’a pas de supporters, certains depuis plusieurs générations. Une entreprise comme les autres n’a pas de stade, ni de ville, ni de couleurs, ni de style de jeu, elle n’a pas de palmares, ni de glorieux anciens. Personne ne raconte à ses enfants la glorieuse histoire, les grandes victoires et les petites défaites de sa boite préférée. Le sport est un business oui c’est vrai. Mais un business qui ne vend pas des joueurs qui courent derrière des ballons contrairement à ce que l’on pourrait croire. C’est un business qui vend du rêve, un esprit, une communauté, des valeurs partagées même si et surtout si elles sont fantasmées. Ce n’est pas pour rien si les produits sont des « clubs ». Club, nom masculin : Association dont les membres ont un intérêt commun. Les Espagnols disent qu’ils sont « Du Barça » ou « Du Real » comme si cela faisait partie d’eux , de ce qu’ils sont. Quand ils vont au Camp Nou ils n’« achètent » pas du football, ils achètent du Barça, le fait de faire partir de cette grande famille, de ce club. L’Aviron et le BO ont des clients parmi les plus fidèles du sport français. Il suffit d’aller voir à Aguilera et Jean Dauger. Ces clubs ne sont pas « en train de mourir » comme je peux l’entendre à droite à gauche, ces clubs sont extrêmement bien portants et ce n’est pas une possible relégation en D2 qui va changer quoi que ce soit. Il y a 10 ans, quand on me posait la fameuse question, le BO était au sommet de la hiérarchie et l’Aviron jouait en D2, à l’arrivée la situation globale des clubs basques était certes moins équilibrée entre ses deux composantes mais assez équivalente à ce qu’elle est aujourd’hui dans le rugby français. Personne n’aurait eu l’idée alors de proposer une fusion…
Ces curieuses idées de fusion apparaissent généralement en période de « crise », quand l’un ou les deux futurs fusionnés traverse une mauvaise passe. Des mauvaises passes d’un ou deux saisons qui arrivent à tuer des clubs centenaires. Quelle tristesse. Regardez le Stade Bordelais, glorieux ancien mort de la crise d’un autre ! Un Bègles qui n’a pas voulu être patient et qui serait tôt ou tard redevenu un grand club comme l’on fait les Brive, Grenoble, Toulon, Racing et consorts. Ca me fait rire quand on me montre l’Union Bordelaise comme l’«exemple de la fusion qui a réussi». Comme si à terme le rugby avait pu se passer d’un grand club à Bordeaux! Avec la fusion Begles a juste gagné une saison ou deux pour revenir au top... Ca fait cher pour le scalp du Stade. Lormont le remplacera peut être un jour comme second club pro de l'agglo...
Dieu merci certains résistent. Que n’a-t-on pas entendu quand Bourgoin a tenu bon devant les demandes répétées de fusion lyonnaises ?! Bourgoin se remet de sa crise. Pourquoi voudriez-vous qu’il ne s’en remette pas ? Un club avec un tel public, un tel terroir, une formation si performante, évidemment qu’il va s’en remettre ! Et puis qu’est-ce que ça veut dire s’« en remettre » ? Lourdes et Béziers ne s’en sont pas remis ? Si vous voulez… Mais aux dernières nouvelles on joue encore au rugby là-bas.. Il faudra combien de décennies pour un « nouveau » club comme Montpellier pour avoir ne serait-ce que la moitié du prestige de Béziers ? La grandeur d’un club ne se mesure pas au classement mis à jour ce matin. Il se mesure au nombre de poils qui se dressent sur vos bras quand vous entendez son nom.
Dans le genre « fusion réussie » les Basques aiment à nous raconter la « belle histoire » de Nafarroa, fusion des frères ennemis de l’Interieur, Garazi et Baigori. Aujourd’hui Nafarroa joue tranquillement en Fédérale 2. Que ce serait-il passé si la fusion n’avait pas eu lieu? Les deux clubs Navarrais joueraient probablement en Fédérale 3. Où deux fois par an ils feraient vibrer toute la région pour des derbys haut en couleurs. Franchement vous appelez ça une « fusion réussie » vous ?
Depuis que je m’intéresse au sport j’en ai vu des clubs disparaitre à cause de ces maudites fusions… Qu’est devenu le soccer grenoblois sans ses Jojos et son Norcap ? Une jolie coquille vide (Le Stade des Alpes). Qu’ils sont loin ces derbys entre le FC Valence et les Arméniens ! Quelle tristesse de voir Pompidou vide lui aussi… Où es-tu le grand La Voulte des frères Cambé ?! Sacrifié aux ambitions déjà oubliées de Valentinois qui ne seront jamais rien d’autre en rugby que la banlieue de Romans. Et le hockey du Mont Blanc ? Disparu de la carte. Quand il y a 20 ans les St Gervais-Megève faisaient encore trembler tout le massif… A quoi a bien pu servir la fusion Castors-Sphinx ? Si ce n’est à tuer le plus grand des clubs français de foot US… La fusion finalement est bien l’unique moyen de tuer un grand club, vous savez ceux « qui ne meurent jamais » comme dit le proverbe.
Alors en tuer deux comme ça. Un mercredi de décembre. Pendant qu’on a le dos tourné. Ne plus entendre l’Hymne de l’Aviron. Ne plus voir Geronimo. Ne plus se foutre des uns et des autres le lundi matin. Pour faire quoi ? Une équipe qui jouera avec les couleurs de St Jean de Luz dans un stade qui coutera un bras à la collectivité (c’est bête Ikea vient de prendre le dernier terrain disponible dans le BAB…) et qui de toute façon ne remplacera jamais ses deux ancêtres dans le cœur de tous ? Tout ça pour, éventuellement, si la sauce prend, si quelqu’un avec deux trois sous y croit, si la moitié des supporters reviennent, si Toulon, Toulouse, Montferrand et le Racing avaient un coup de mou en cœur au même moment, gagner un Brennus tous les 10-20 ans ?
Putain, ça fait cher le bout de bois.
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