Avant les années 80 et son installation pour de bon dans le paysage sportif français, le baseball tricolore a tout connu. Avant la guerre de 14 il fut joué de manière assez importante sur Paris avant de s’endormir doucement pendant l’entre-deux guerres. Il redémarre en 45 avec la présence américaine jusqu’en 67 toujours principalement en région parisienne et près des bases de l’Armée US. Puis reprend pour de bon dans les années 80 avec le mini boom des sports US en Europe qui vu notamment le foot US démarrer sur le Vieux Continent.
Au milieu de tout ça il y eu aussi un âge d’or du baseball français mais un baseball quelque peu particulier puisqu’il n’était pas hexagonal mais colonial. De 1935 à 1957 c’est en effet de l’autre côté de la Méditerranée, et avant tout dans la région de Tunis que l’on joua le plus et le mieux au baseball dans une Tunisie alors protectorat français. Retour sur l’histoire oubliée du baseball tunisien qui influença par la suite grandement le baseball en France.
Selon les sources tout commença entre 1920 et 1935… quand le docteur Kelly, originaire de Baltimore, employé à l’Ambassade Américaine à Tunis se décida à promouvoir le baseball localement. Il créé la première équipe, les Orioles de Carthage. La greffe prend en tout cas très bien et rapidement des équipes se forment. On joue alors sur les plages des stations balnéaires autour de Tunis. Les Orioles avec plusieurs américains de l’Ambassade affrontent le BC Megrinnes composés majoritairement de colons français, l’Oriflama de la communauté italienne, l’AS Travaux Publics et ses fonctionnaires de Métropole et surtout le club qui va dominer cette époque, le Club Athlétique de Tunisie des trois frères Vella. Quand arrive la guerre il y a déjà une dizaine de formations en activité et très probablement les meilleurs joueurs de la France de l’époque, le niveau du baseball parisien étant retombé très bas .
La guerre ne va suspendre l’activité sur les terrains que quelques mois fin 42 et au printemps 43 mais la libération va redonner encore plus de peps au baseball tunisien notamment grâce à la présence des militaires américains dans la région. Le docteur Kelly est de retour en 45 et organise très vite des matchs avec les marins de la Navy en escale ou les aviateurs de la base de Tripoli en Libye proche. La plupart des anciens clubs reprennent leurs activités, d’autres se créent y compris dans les lycées et collèges. Les deux grands clubs du Tunis de l’après- guerre sont le Montfleury Athletic Club et l’Entente Sportive Ouvrière, le club de la communauté juive de la ville. Le baseball sort même de l’agglomération de Tunis avec la création de l’Etoile sportive du Sahel à Sousse. On joue aussi à Bizerte. A Tunis même le lieu de rendez-vous est l’Esplanade Gambetta où quatre terrains en terre battue sont tracés en permanence. Pour les grands matchs on ouvre le Parc des Sports et plusieurs milliers de spectateurs assistent aux finales. Une sélection tunisienne est créée dès 1949 et elle battra sans coup férir 11-5 l’équipe de France à Paris l’année suivante. En 1955 pour les championnats d’Europe l’équipe de France est très majoritairement composée de joueurs tunisiens. Les liens toujours forts avec l’Italie permettent aussi échanges et rencontres contre les meilleurs clubs transalpins de l’époque.
A la lecture des archives on est frappé par la cohabitation autour des diamants tunisiens de communautés très diverses qui faisaient la Tunisie de cette époque. Certains clubs sont propres à des communautés comme l’ESO ou l’Harzellia clubs juifs, l’AMM et l’Athletic Club musulmans ou l’Avant-garde club des pieds noirs. D’autres comme le Monfleury ou le CAT sont mixtes. De même dans les compétitions scolaires, les lycées publics mixtes (Carnot, Loubert) affrontent des écoles religieuses et privées comme le lycée catholique des Maristes, l’école de l’Alliance Israélite ou celle de la mosquée Zitouna !
L’indépendance en 56 et le départ de la plus grande partie des communautés françaises, maltaises, juives et italiennes va stopper la progression du baseball tunisien mais sans le tuer. Même si à certaines périodes il sera mis en sommeil (notamment dans les années 70 et au début des années 90), le baseball tunisien est toujours actif et reste par ailleurs le seul du monde arabe. Il entretient depuis toujours des relations fortes avec le baseball italien et aussi de manière moins soutenue avec le baseball français.
Quant à ceux qui prirent le chemin de l’Europe en 1956 leur apport fut clé dans le développement du baseball en France et en Italie. Soyons clairs les Pieds Noirs qui débarquent alors en métropole sont de loin les meilleurs joueurs de l’époque en Europe. En France leur arrivée va sortir le sport de la région parisienne où il était resté cantonné jusque-là. A Marseille, Cagnes sur Mer, Nice et dans bien d’autres villes (jusqu’à Fenay en Bourgogne club créé par Robert Averso), les ex tunisiens vont créer leurs clubs, quelquefois même en reprenant les couleurs et le nom de leur club nord-africain (comme les Aiglons à Marseille). Jusque dans les années 80 on verra sur les terrains de France et sous le maillot de l’équipe nationale des joueurs ayant été formé à Tunis. A Nice, le NUC, composé majoritairement de Pieds Noirs sera le grand rival du glorieux PUC pendant toutes les années 70. Dirigé par François Corso, une figure légendaire du baseball français, le club fut longtemps la vitrine du baseball « tunisien français ». Si à la fermeture des bases US en 67 le baseball français qui y trouvait énergie, joueurs et coachs, n’est pas mort c’est sans doute grâce à ces anciens d’Afrique du Nord… En Italie où le baseball était déjà plus implanté, les Tunisiens amèneront aussi leur énergie et fourniront de nombreux joueurs à la Squadra Azzura des années 60 et 70.
Merci aux habitués du forum Hit and Run et à Gerard Moulin pour leur aide précieuse à la rédaction de ce petit article. Pour les passionnés et archivistes, retrouvez aussi des photos et des textes complémentaires dans les « Strike » numero 17 et 18 publiés en 1994.
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